Comment a évolué la théorie de la communication ?

Comment a évolué la théorie de la communication ?

Avant de définir la communication dans le contexte spécifique de ce parcours, il me semble essentiel d’exposer ici, brièvement, les différentes théories qui au fil de ces cents dernières années ont tenté d’expliquer comment fonctionne la communication entre être humains. Cette précision a son importance, la communication inter-espèces n’est pas étudiée ici ;-).

Pour commencer, si je reprends l’étymologie du terme, « communication » vient du latin communicare qui désigne à la fois l’action de faire part et de mettre en commun. Ainsi, la communication est un moyen de transmettre l’information en établissant une relation de partage.

Mais vous pensez bien que cela ne suffit pas à expliquer ce phénomène complexe qu’est la communication 😉 ! C’est pourquoi, peu avant la seconde guerre mondiale (1939-1945 –> Je rappelle ça au cas où…), des chercheurs commencent à proposer des modèles répondant à la question suivante : comment fonctionne la transmission d’un message entre deux individus ?

  • l’émetteur émet le message / signal ;
  • le récepteur reçoit le message / signal.

Deux “paradigmes” analytiques vont se succéder, ayant chacun un parti-pris différent, ils aboutissent à des théories qui proposent une analyse différente de ce phénomène. Présentons d’abord ses deux paradigmes qui sous-tendent ces théories :

  1. Le mécanisme, ou behaviourisme, est une philosophie mécaniste selon laquelle les phénomènes psychologiques s’expliquent de manière simple par un enchaînement linéaire de causes et d’effets, comme nous pouvons l’observer dans un mécanisme d’horloge. La problématique de ce parti-pris est d’être extrêmement réducteur et de ne pas proposer des outils analytiques à la hauteur de la complexité de la psychologie humaine.
  2. La cybernétique se développe à partir de 1947 avec Norbert Wiener (1894-1964) comme chef de fil. Cette science étudie la circulation de l’information dans les systèmes autorégulés. La première caractéristique de cette approche de nos systèmes est de sortir d’une causalité linéaire pour lui préférer une causalité circulaire (ou feedback en anglais pour ceux qui souhaitent frimer). Partant de ce postulat, les tenants de la cybernétiques montrent comment un système peu évoluer sans interaction extérieure uniquement grâce à la circulation de l’information en son sein.

Je vais maintenant proposer une synthèse rapide de ces différents courants avant de proposer, dans la prochaine leçon, une présentation de l’état de l’art en la matière, c’est-à-dire ce qu’il faudra vraiment retenir pour la suite du parcours.

I. Les modèles mécanistes de la communication

1. Le modèle de Shannon et Weaver (1949) : théorie sur la transmission d’un signal

a) Le principe

Claude E. Shannon (1916-2001) met en place un “système général de communication” en appliquant ses connaissances d’ingénieur de la compagnie de télécommunication Bell à l’analyse de la communication. Associé au philosophe Warren Weaver (1894-1978), il s’appuie notamment sur son étude du télégraphe et y ajoute des notions issues de la biologie des systèmes nerveux et de la linguistique.

b) Le modèle

Le modèle proposé est linéaire sans aucune interaction, autre que le signal, entre “source” et “destinataire” tout simplement parce que le but de Shannon n’est pas l’étude de la communication humaine mais l’étude de la communication dans son acceptation classique (XVIIIe siècle) : la transmission d’un signal.

Théorie de la communication - Modèle de ShannonThéorie de la communication – Le modèle de Shannon et Weaver

La source va émettre un message qui sera codé par l’émetteur (une machine – un téléphone par exemple) sous forme de signal qui sera transporté par le canal en subissant des distorsions en raison du bruit (phénomènes parasites qui altèrent la qualité du signal) avant d’être capté par le récepteur (machine similaire à l’émetteur) qui le décodera sous forme d’un message dont le destinataire prendra connaissance.

c) Portée et limites

Ce modèle s’attache uniquement aux contraintes matérielles impactant la qualité de la communication :

  • codage du message : transformer un message en signal, par exemple transformer une voix en signal binaire via un transistor ;
  • décodage : saisir le signal et recomposer le message avec le moins de pertes possibles liées au bruit. Par exemple repasser du binaire à la voix ;
  • bruit : tout ce qui impacte la qualité de la transmission.

Ce modèle est souvent présenté comme incomplet ou trop simplificateur car Claude E. Shannon, à l’instar de son domaine d’étude, ne s’intéresse qu’à la transmission des messages via des canaux techniques (télégraphe et téléphone) et non leur contenu. Il n’a eu de cesse de répéter que sa théorie ne s’appliquait pas à la communication interpersonnelle humaine, en vain…

2. Le modèle de Lasswell (1948) : la communication d’influence et de persuasion

a) Le principe

Harold Dwight Lasswell (1902-1978), un psychiatre et un politologue états-unien, s’appuie sur ses études classiques et notamment les écrits de Quintilien (Ier siècle) traitant de la rhétorique. Celui pose le cheminement que tout orateur doit suivre pour construire son discours :

  • Qui ;
  • dit quoi ;
  • par quel canal ;
  • à qui ;
  • et avec quel effet ?
b) Le modèle

Le modèle ainsi définit loin d’une analogie homme/machine, repose sur :

  • l’analyse psychosociologique du contexte dans lequel a lieu la communication (qui ? À qui ?) ;
  • une prise en compte des moyens utilisés pour communiquer (media) ;
  • une analyse des procédés rhétoriques et de leurs effets.

Le modèle de Lasswell

c) Portée et limites

Fondée sur la rhétorique, cette théorie de la communication s’intéresse à sa nature de processus d’influence qui semble pertinent pour analyser la communication de propagande ou la communication publicitaire. Mais avec la problématique de se situer encore dans un contexte de linéarité de la communication et en cantonnant sa dimension psychologique à une version simplifiée.

3. Le modèle de Jakobson (1973) : Théorie sur la fonction du langage

a) Le principe

En tant que linguiste, Roman Jakobson (1896-1982) s’intéresse tout particulièrement au langage et les fonctions qu’il remplit (fonctions du langage). Sa théorie porte moins sur la communication que sur le langage, mais elle nous intéresse dans sa capacité à nous éclairer sur la dimension humaine de la communication, c’est-à-dire l’impact de la nature humaine, de sa psychologie et de sa culture. La théorie de Jakobson s’attache donc plus spécifiquement à la communication verbale.

b) Le modèle

Pour commencer Jakobson définit six éléments constitutifs de tout acte de communication verbal :

  • le destinateur qui est envoie le message ;
  • le message ;
  • le destinataire qui reçoit le message ;
  • le contexte ou réfèrent qui est le cadre général de l’échange et qui participe à lui donner du sens ;
  • le code qui doit être partager au moins en partie par le destinateur et le destinataire car il donne forme au message (par exemple s’exprimer en français) ;
  • le contact qui est le canal par lequel sera transporté le message. Il doit être continu et peut être de nature physique (nous nous voyons et nous parlons) ou psychologique (nous ne nous voyons pas mais nous sommes au téléphone).

À ces six éléments, Jakobson associe six fonction de la communication :

  • fonction expressive (expression des sentiments du destinateur)
  • fonction conative (fonction relative au destinataire)
  • fonction phatique (mise en place et maintien de la communication)
  • fonction métalinguistique (le code lui-même devient objet du message)
  • fonction référentielle (le message renvoie au contexte, au monde extérieur)
  • fonction poétique (la forme du texte devient l’essentiel du message)

Schéma explicatif de la théorie du langage de Jakobson

Attention, ne vous laissez pas abuser par le schéma, en effet, Jakobson précise qu’une fonction peut s’associer à une autre. Ainsi le langage peut viser plusieurs objectifs simultanés : phatique et métalinguistique par exemple.

c) Portée et limites

Ce modèle a les défaut de ses qualités. En se concentrant sur le langage, il permet d’éclairer les intentions de la communication (fonctions du langage). Par contre, il ne remet pas en cause la vision linéaire mécaniste en ignorant les rétroactions induites par la réception du message. Enfin, pour lui le canal utilisé n’influe pas sur la nature et la qualité du message.

II. les modèles systémiques

Les théories que nous venons de voir sont souvent considérées comme limitées. Mais cette critique repose sur un biais d’analyse : aucune d’elle n’a jamais prétendue être une théorie proposant une analyse globale de la communication au sens contemporain du terme (cf. leçon suivante).

1. Le modèle de Wiener (1948)

Ce modèle est intéressant car c’est le premier qui introduit la notion de feed-back dans une théorie de la communication. C’est-à-dire qu’il sort de la linéarité pour envisager la communication comme un phénomène circulaire dans lequel le destinataire va pouvoir influer sur la source en sortant du rôle de récepteur passif.

Norbert Wiener est en effet un mathématicien américain considéré comme le père fondateur de la cybernétique dont l’un des apports majeurs est la fameuse notion de feed-back (ou rétroaction en français).

Pour préciser cette notion de façon simple dans le cadre de ce parcours (nous ne sommes pas des ingénieurs ;-)), précisons ceci :

  • un feed-back positif ou boucle de rétroaction positive va amplifier le phénomène source avec un effet boule de neige ;
  • un feed-back négatif ou boucle de rétroaction négative va maintenir un équilibre dans le système et s’apparentera à un phénomène de régulation.

2. L’école de Palo Alto (1984)

a) Le contexte

À partir de 1950, des chercheurs issus de disciplines différentes vont chercher à analyser et théoriser la communication comme un phénomène complexe dont l’une des composantes est bien entendu l’individu et sa relation avec les autres et qui doit être abordé par les sciences humaines.

Connu sous le nom d’école de Palo Alto, du nom de la ville où ils se réunissent, ou de « collège invisible », ces chercheurs vont notamment introduire pour la première fois la notion de rétroaction (feedback en anglais) qui traduit la réaction du destinataire au message et son effet (négatif ou positif) sur le système.

b) Les apports à la théorie de la communication

Les apports essentiels de l’école de Palo Alto à la théorie de la communication sont les suivants :

  • La communication est une activité sociale permanente ; elle est le processus par lequel la culture se réalise (se réactualise et se renouvelle).
  • La communication sert plus à intégrer, à dire que l’on appartient à la même communauté (fonction intégrative), qu’à informer.
  • La communication n’est pas seulement verbale ; elle met notamment en jeu le comportement (kinésique) et la position du corps dans l’espace (proxémique).
  • La communication ne se résume pas à l’acte intentionnel de communiquer, car elle se fait en permanence de façon consciente ou inconsciente.

3. Structuralisme et systémisme

Nous allons aborder ici une approche complexe et critique de la communication, notamment dans sa dimension “communication de masse”. Ces notions, bien qu’a priori ardues méritent que je les présente et que vous preniez le temps durant vos longues nuits d’hiver de les approfondir. Sauf à vouloir se contenter de communiquer pour engranger des pépettes…

a) Définitions

Je ne vais pas réinventer la poudre, donc je reproduis ici la définition de la femme au pissenlit, pardon, la définition du Larousse :

Courant de pensée des années 1960, visant à privilégier d’une part la totalité par rapport à l’individu, d’autre part la synchronicité des faits plutôt que leur évolution, et enfin les relations qui unissent ces faits plutôt que les faits eux-mêmes dans leur caractère hétérogène et anecdotique. (Le structuralisme a connu sa forme la plus complète dans l’anthropologie sociale pratiquée par Lévi-Strauss.)”

En ce qui concerne la communication de masse, c’est l’ensemble des moyens, écrits, audiovisuels ou audio, qui permettent de s’adresser à un nombre très important d’individus qui ne constituent pas un groupe homogène. Un groupe homogène est un ensemble limité d’individus qui partagent une caractéristique commune en rapport avec la nature du message, par exemple, un ensemble de salariés d’une entreprise recevant une communication de la direction. Dans ce cas il s’agit de communication de groupe.

b) Apports du structuralisme à la théorie de la communication

Le structuralisme propose de dépasser la simple étude du contenu d’un discours (message) qui se cantonne à analyser qualitativement et quantitativement ce message, pour intégrer à l’interprétation du message la structure psychosociale dans laquelle il a été produit.

L’approche structuraliste fait de la communication un système social central qui contribue à la reproduction des rapports sociaux. En ce sens, elle est aussi un vecteur de la violence sociale quand sous la forme de la communication de masse, elle exerce, selon Louis Althusser (1918-1990), une violence symbolique sur l’individu.

c) Le systémisme

La cybernétique et le structuralisme sont la base de la pensée complexe et du systémisme.

La grande différence entre le structuralisme et le sytémisme est que le second s’inscrit dans une vision dynamique de nos sociétés considérées comme des systèmes. Dés lors, le systémisme étudie les dynamiques de transformation qui opèrent à l’intérieur même des systèmes.

4. L’école de Francfort

Je vous invite à vous intéresser aux travaux de cette “école” (je mets entre guillemets car le groupe d’intellectuels allemand derrière cette structure a connu bien des vicissitudes notamment à cause de la montée du nazisme et a donc exercé ses activité sur deux continents). Dans le cadre de ce parcours, je ne présenterai qu’un résumé des points ayant un impact direct sur notre approche de la communication.

a) L’école

Les philosophes allemands Theodor Adamo (1903-l969), Max Horkheimer (1895-1973) et Jürgen Habermas (1929) forment le noyau de cette école de pensée dont l’objectif est la fondation d’une théorie critique qui permette de proposer une critique sociale du capitalisme et la marchandisation du monde qu’il sous-tend.

b) Les idées principales en ce qui concerne la communication

D’après les chercheurs de cette école de pensée, la marchandisation des biens culturels, provoquée par l’application des principes capitalistes, aboutit à leur standardisation. De même, la massification de la communication aboutit à la standardisation des individus.

Un auteur, Jürgen Habermas, se détachera du groupe pour proposer une théorie ambitieuse moins accès sur la critique de la société capitaliste en proposant une nouvelle théorie de la société reposant sur la communication : « L’agir communicationnel ». En s’éloignant de la pensée Marxiste et en se rapprochant de l’esprit des Lumières, l’auteur valorise la « communication », qui serait seule à même de produire un accord démocratique. D’où l’importance pour Habermas de réagir dans l’espace public, qui occupe une place essentielle selon lui dans le fonctionnement de nos sociétés (que dire alors aujourd’hui de l’Internet…).

Habermas oppose alors le consensus sur des valeurs communes (morale) qui opère à long terme, de l’agir stratégique qui cherche l’efficacité à court terme, le succès immédiat, l’influence. Nous comprenons bien que ce dernier n’est pas une pratique souhaitable, nous devons au contraire lui préférer la raison communicationnelle.

5. Les dernières évolutions de cette approche théorique

Afin de clôturer cette approche synthétique des courants de pensée qui ont participer à l’élaboration d’une théorie de la communication, je vais présenter deux évolutions qui participent à l’approche complexe de cette matière en rendant leurs lettres de noblesses à deux oubliés des approches que nous venons d’étudier :

  • le destinataire ;
  • le média ou support du message.
a) La revalorisation du rôle du destinataire

Les dernières recherches offrent plus de place au “destinataire” dont le rôle a souvent été minimisé dans les précédentes approches théoriques. Ainsi, Michel de Certeau (1925-1986), dans « L’invention du quotidien », montre comment l’individu, par son « bricolage » s’empare de manière parfois inattendue et originale de ce que lui « impose » l’appareil médiatique.

Enfonçant le clou de cette approche, les théories de la réception élaborées à la suite des travaux de Hans Robert Jauss (1921-1997) et de Wolfgang lser (1926-2007) construisent le modèle d’un destinataire qui ne se contente pas de recevoir le message en le décodant comme le destinateur le souhaite. Ainsi, ce destinataire se libère d’une lecture « premier degré » pour interpréter le message en fonction de la situation d’émission, de ses compétences psycho-socioculturelles et langagières et de l’image qu’il se fait de la source.

Cette approche est d’autant plus intéressante dans le contexte de l’économie numérique et de l’émergence du client co-créateur de valeur. Nous y reviendrons.

b) La revalorisation du rôle du média

Pouvons-nous vraiment penser que le media utilisé dans la communication soit sans effet sur celle-ci, comme une sorte de support neutre ne générant aucune interaction ?

La médiologie répond par la négative à cette question. De quoi s’agit-il ?

C’est le philosophe Régis Debray (1940) qui inspire cette méthode de recherchequi étudie :

  • les productions humaines (art, religion, doctrine, discipline scientifique, pratiques…) ;
    en relation avec les structures dans lesquelles elles naissent (académie, église, parti politique, université…) ;
  • et les systèmes techniques de communication qu’elles utilisent (diffusion, archivage).

Ainsi, la médiologie réintroduit le média dans la communication notamment en étudiant comment la création d’un nouveau média influe non seulement sur les messages, mais aussi sur les comportements et les mentalités et, à l’inverse, comment une culture « suscite, assimile ou modifie une innovation technique ». Ce qui est particulièrement pertinent à l’ère numérique.

6. Conclusion

Comme nous venons de le voir, les théories ou recherches traitant ou incluant la communication sont nombreuses depuis ces 80 dernières années. Si cela vous intéresse, je vous invite à lire ces auteurs pour saisir le plus finement possible le sens de leur pensée. En effet, nous ne pouvons revendiquer le statut de communicant sans maîtriser les enjeux de la communication et choisir le cadre théorique dans lequel s’inscrira notre activité.

Mais choisir un cadre théorique ne doit pas se faire sans prise de conscience de la nature dynamique de nos systèmes. Cela signifie que le cadre d’usage de la communication, nos sociétés, est en constante évolution. Dès lors, la communication relevant des sciences humaines (ce n’est pas une science dure comme les mathématiques par exemple) aucune vérité absolue ne peut émerger. Nous devons accepter la saine nécessité de faire sans cesse évoluer notre approche de la communication au gré de l’évolution de nos sociétés.

Dans la leçon suivante, je proposerai une synthèse opérationnelle de la théorie de la communication.

Dans ce cours, découvrez le cheminement qui a permis de concevoir une théorie de la communication.

Notation
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